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Coronavirus et tabagisme

« Fumer protégerait du coronavirus ». N’étant pas très branché sur les gros médias, je n’avais pas vu passer cette info. Comme je l’ai finalement entendue répétée plusieurs fois ces derniers jours et trouvant ça plutôt surprenant, j’ai voulu creuser un peu la question.

Je trouve par exemple un article du Monde paru le 22/04/2020. N’étant pas abonné au Monde, je n’ai pas accès à la totalité de l’article mais je peux déjà voir plusieurs éléments :

  1. On parle d’une première étude chinoise qui va dans le sens d’un faible nombre de fumeurs parmi les malades du covid
  2. Quelques chiffres généraux du journaliste
  3. Une référence à une deuxième étude en prépublication, réalisée par l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP). A priori ce sont les données de cette étude qui sont développées dans le reste de l’article

Premier point : une étude chinoise publiée fin mars dans le New England Journal of Medicine. Il y a eu pas mal d’études de ce type. Comme beaucoup d’autres, c’est une étude statistique sur les données des hôpitaux. Ce qu’on peut déjà dire c’est que ces études portent généralement sur peu de patients. Ici c’est de loin la plus grosse que j’ai pu lire et elle porte sur 1099 patients. De plus, dans le cas d’une analyse du facteur « tabac », les données sont peu fiables car les hôpitaux n’interrogent pas toujours les patients sur leurs habitudes de tabac (surtout dans un contexte d’urgence) et par défaut les patients sont comptés comme « non-fumeurs ». Aussi il y a peu de détails : ancien fumeur ? petit ou gros fumeur ? fumeur de quoi ? etc.

D’après l’article « sur plus de 1 000 personnes infectées [l’étude] a montré que la proportion de fumeurs était de 12,6 %, bien inférieure à la proportion de fumeurs en Chine (28 %). » Petites précisions, les 1000 personnes infectées sont des patients testés positifs au Covid par les hôpitaux étudiés. Ici l’autrice de l’article compare la proportion de fumeurs parmi les patients à la proportion de fumeurs parmi la population chinoise. C’est un peu comparer des oranges et des bananes, ça ne veut strictement rien dire. Ça n’aurait de sens que si les 1000 patients étaient représentatifs de la population générale sur des critères qui influencent la consommation de tabac, ce qui a peu de chances d’être le cas. Par exemple, on parle ici d’une moyenne de 28% de fumeurs. Il faut savoir qu’en Chine, la consommation de tabac est TRÈS genrée : elle est de plus de 50% pour les hommes et de seulement 2% pour les femmes. Du coup, si la proportion hommes/femmes chez les patients était différente de la proportion dans la population générale, les chiffres seraient largement faussés. C’est aussi le cas pour pas mal d’autres critères.

Plusieurs meta-études (une publiée dans le Lancet et une de l’université d’Oxford) ont étudié cette même étude et quelques autres. Ils analysent les chiffres différemment et eux remarquent plutôt que plus les symptômes sont sévères plus la proportion de fumeurs augmente, ce qui indiquerait que fumer prédisposerait à développer des formes plus graves.

Ça pourrait aussi s’expliquer par le fait qu’on demande plus aux gens sérieusement malades s’ils sont fumeurs qu’aux gens avec des symptômes plus légers mais c’est intéressant de voir les différentes conclusions auxquelles on peut arriver à partir des mêmes chiffres.

Deuxième point : la journaliste nous indique que « parmi les quelque 11 000 patients hospitalisés pour cause de Covid-19 début avril, et depuis le début de l’épidémie, 8,5 % étaient fumeurs – alors que le taux de fumeurs quotidiens est de 25,4 % dans le pays. ». Là encore, on compare des oranges et des bananes et on ne peut rien en conclure. En France, 75% des hospitalisations pour cause de Covid concernent des personnes de plus de 60 ans et 45% ont même plus de 80 ans. Or la proportion de fumeurs dans la tranche 65-75 ans est d’environ 10% et les fumeurs de plus de 75 ans, s’ils ne sont même pas répertoriés dans les statistiques de fumeurs sont certainement encore bien moins nombreux.

Troisième point : l’étude de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. L’avantage, c’est qu’elle est spécialement orientée sur la question du tabac donc il y a beaucoup plus de détails de ce côté. Aussi, elle compare les fumeurs parmi la population de patients avec les fumeurs dans la population générale selon des critères d’âge et de sexe qui sont des facteurs importants. Selon ces critères, elle trouve que les fumeurs sont sous-représentés parmi les patients : il y en a 77% de moins que la proportion dans la population générale.

Ces résultats très significatifs sont confirmés par une autre étude réalisée dans l’Oise (que je n’ai pas étudiée).

D’un autre côté, ces résultats sont à relativiser par rapport à certains biais importants non pris en compte dans l’étude. Il y a toujours un gros biais de référence : la distribution des fumeurs selon des critères d’âge et de sexe n’est pas suffisante. Par exemple, l’étude est faite à Paris et l’Ile-de-France est bien en dessous de la moyenne nationale en nombre de fumeurs. D’autres critères socio-économiques non-pris en compte peuvent également faire varier la proportion de fumeurs du simple à plus du double (revenu, niveau d’étude, etc.).

Il peut aussi y avoir un biais de conformité sociale. Les fumeurs sont répertoriés selon leurs propres déclarations et il est courant que ces informations soient sous-déclarées. En gros, les gens disent parfois qu’ils ne sont pas fumeurs pour éviter d’être réprimandés par les médecins.

On pourrait rajouter que l’étude concerne un petit nombre de personnes et un encore plus petit nombre de fumeurs et d’autres biais possibles.

Ceci dit, sans pouvoir tirer de conclusion ferme sur la relation entre tabac et coronavirus, l’analyse est quand même très intéressante et invite à creuser la question.

Si on part dans cette hypothèse que les fumeurs ont moins de chances d’être malades du coronavirus, ça pourrait s’expliquer par le fait que :

  • les pathologies des fumeurs les protègent du coronavirus. Ça arrive parfois, ça pourrait être le cas de l’asthme par exemple.
  • la nicotine joue un rôle protecteur vis-à-vis du coronavirus. Plusieurs hypothèses sont déjà proposées pour expliquer ce mécanisme.

Une observation liée à la dernière étude pourrait d’ailleurs s’expliquer si effectivement la nicotine jouait un rôle protecteur. En effet, si l’étude semble indiquer que les fumeurs sont sous-représentés chez les patients, les anciens fumeurs sont eux sur-représentés.

Vous voyez qu’en allant se renseigner, il y a beaucoup plus à dire et la réalité paraît bien plus complexe que des conclusions simplistes du type « fumer protège du coronavirus ».

Pour finir, je tiens à saluer la démarche de transparence de l’équipe de l’hôpital de Paris. Ils ont pré-publié leur étude, elle est accessible gratuitement sur Internet (on peut même lire les commentaires des relecteurs, c’est hyper intéressant), ils détaillent leur démarche, essaient de parler au maximum des différents biais et de leurs potentiels conflits d’intérêt (ou absence de), etc. Beau travail, merci d’apporter votre pierre à l’édifice de la science.

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